La voix du Sahel

VIVE LA RENAISSANCE?

Gorom- Gorom, un lundi matin. Une clameur du côté du lycée provincial. « Les élèves veulent marcher » apprend-t-on. J’y accours. Du lycée, les élèves sont allés faire sortir leurs camarades du CEG et du collège privé Sabil El nadja. Au retour, une halte est faite à l’école Gorom Est. Le cortège emprunta la route centrale Dori- Gorom en scandant: « Y en a marre; Y en a marre». Au niveau de l’hôtel de l’amitié de Gorom, j’entends une petite voix . Je me retourne et qui vis-je? Ma fillette de huit (8) ans sac au dos, point levé scandant: « y en a marre». Moi qui croyait que de son école elle a fui directement à la maison! L’effet d’étonnement passé, ce fut comme un sentiment de fierté et de soulagement. Bien même qu’à huit ans, ma fillette ignore pourquoi elle marchait, mais c’est la symbolique qui compte. Elle aurait pu suivre comme tant d’autres de son âge les conseils de sa maman qui la conseillait de « fuir venir à la maison si elle voit des élèves marcher». «fuir», refuser d’être citoyen. Voilà ce qu’on enseignait depuis un certain temps à nos enfants. Mieux, les parents que nous sommes se comportaient exactement de la même façon. En effet quand on disait  grève ou marche ou sitin, de nombreux travailleurs préferaient «fuir». Et ce sont les mêmes qui, devant des bouteilles de bière, des brochettes entre les machoirs disent: « le pays est foutu, quand est- ce que ça va changer»? Mais pour que cela change, il faut assumer sa citoyenneté. Voilà pourquoi, bien même que ma petite ne comprenait rien à son acte, j’ai été fier d’elle, comme j’ai été fier des autres enfants de son âge qui n’ont pas couru à la maison. mais qui marchaient et scandaient: «Y en a marre». Et ce n’est pas fini. Oursi, c’est un village sonraï situé à environ 40 km de Gorom- Gorom le chef lieu de province de l’Oudalan. C’est un village touristique avec sa mare de renommée internationale, sa célèbre dune de sable qui accueille chaque année des milliers de touristes et son site archéologique Houbérou. Au plan scolaire, la commune rurale de Oursi traîne en queue. Il y a deux ans à peine que Oursi venait d’ouvrir les portes de son collège d’enseignement général ( CEG) qui compte à peine une centaine d’élèves. L’on pouvait parier difficilement sur la capacité de ces élèves broussards, loin là- bas à poser des actes aussi téméraires comme aller mettre le feu à la mairie de la localité. Et c’est ce qui fut fait à la grande surprise générale. Comme Oursi est isolé, les informations passent difficilement. Aussi, les quelques élèves n’ont pas été informés de la mesure de fermeture des classes prise par le gouvernement. C’est une fois parvenu à l’école qu’ils reçurent l’information. On n’ignore ce qui s’est passé, mais toujours est- il que les élèves prirent la route de la mairie où ils mirent le feu aux archives et au mobilier qui s’y trouvait. Les machines à écrire partir également en fumée. C’est tout heureux que les élèves rejoignirent leurs domiciles laissant derrière eux ruines et désolation. La même scène s’est produite également à Markoye, une autre commune rurale à la frontière du Niger. De retour du collège, les élèves épargnèrent curieusement la gendarmerie pour aller mettre le feu au commissariat de police réduisant à néant archives et mobilier. Oursi et de Markoye, c’est le Burkina profond, le pays réel où chaque jour, il y a abus, violation  flagrante des droits de la personne humaine, humiliation, tout cela dans une impunité totale.  Qui pouvait imaginer un seul instant qu’à Oursi et à Markoye, des élèves puissent un seul instant oser s’en prendre à des symboles comme la police? La preuve est que  les policiers de Markoye n’ont même pas pris soin de sécuriser leurs archives et leurs matériels. Certainement que le Commissaire pensait que dans cette brousse  personne n’oserait toucher au commissariat. Et pourtant! Pour une première fois, c’est la police qui a été pourchassée, elle qui pourchassait. Le cas de Oursi et de Markoye est illustratif de la  manifestation d’une nouvelle conscience citoyenne . Certes, ici et là, il y a eu des  débordements , des biens matériels ont été détruits. Cela est regrettable. Cependant, il y a une logique qu’on ne comprend pas aux burkinabé. Partout l’on déplore et condamne la destruction des biens matériels. On dit oui, vous pouvez marcher, mais ne casser pas car...patati, patata. Mais quand les biens immatériels de toute une nation sont détruits, on trouve cela normal. Quand on grille un journaliste et ses compagnons dans un pays qui se dit de droit et démocratique, et qu’on prononce des «non lieu», donne-t-on un bon exemple aux jeunes générations? N’est- ce pas des valeurs qui partent en fumée. Au Japon, ils viennent d’avoir un terrible tremblement de terre. Il y a eu trop de dégâts. Dans un an, l’on verra que les japonais auront tout reconstruit, mieux qu’avant. Pourquoi? Tout simplement parce qu’en eux sont restées des valeurs qui leur sont chères. Pour construire un commissariat, il  faudra combien de temps. Mais quand une valeur sociale est détruite, il y a un risque qu’à jamais, elle ne se rétablisse. Voilà pourquoi, les larmes à verser ne doivent pas se faire à cause des ruines de béton, mais à cause de la perte de nos valeurs morales qui ont été détruites sous le système actuel ou l’avoir l’emporte sur le savoir, où l’honnêteté et l’intégrité deviennent des délits, où la médiocrité est louée face à la compétence.  Plutôt donc que de condamner le comportement de nos enfants, ayant le courage de saluer cette renaissance, cette capacité à dire non et à s’insurger contre  l’arbitraire, d’où qu’elle vienne. Absolument!
Le fou de Markoye


29/03/2011
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