La voix du Sahel

Histoire atypique d'un journal


HISTOIRE D' UN JOURNAL


L'aventure du journal «  La Voix du Sahel » débuta en août 1994 à Gorom- Gorom, chef lieu de la province de l'Oudalan dans la région du Sahel. Gorom- Gorom, faut- il le souligner est situé à environ 350 km de la capitale Ouagadougou. La province de l'Oudalan elle, est peuplée de Touareg, Peulhs et Sonraï. Dans les années 1994, à la naissance de la Voix du Sahel, Gorom- Gorom avait une réputation tristement célèbre. Cette image négative, Gorom- Gorom la tenait de sa position géographique. En effet, située à l'extrême Nord du pays, la localité était considérée à tord ou à raison comme un «  no man's land » où la forte chaleur dit- on à elle seule suffisait pour décourager même les plus téméraires. A cela, il fallait ajouter l'enclavement de la localité. Dans les années 90 et antérieures, aller à Gorom- Gorom constituait un cauchemar surtout à certaines périodes de l'année ( saison des pluies) à cause de l'impraticabilité des voies de communication. De nos jours encore, malgré le bitumage du tronçon reliant la ville de Kaya à celle de Dori, Gorom demeure toujours inaccessible en période hivernale quand les nombreux cours d'eau sont en crues.

Il faut souligner également que les années 1990 marquèrent le début du processus démocratique au Burkina Faso avec l'adoption de la constitution du 02 juin 1991 suivies d'élections législatives et présidentielles. Qui dit processus démocratique dit également liberté d'expression. En effet, avec l'amorce du processus démocratique, l'on va assister au Burkina à ce que d'aucuns ont appelé «  le printemps de la presse ». En effet, longtemps bâillonnée sous les différents régimes d'exception, la presse recouvrera ses droit avec l'avènement de l'Etat de droit naissant. La première a profiter de ce vent de démocratie fut la presse écrite. On assistera à la naissance, voire la floraison de nombreux titres dans le paysage médiatique burkinabé. Mais la particularité de tous ces titres est leur concentration dans la seule capitale Ouagadougou. C'est dire que si la parole fut libérée dans la capitale, à l'intérieure du pays, notamment dans les régions enclavées comme le Sahel Burkinabé, l'idée de la liberté d'expression demeurait encore inexistante. Enclavée sur terre, le Sahel burkinabè l'était également sur les ondes et sur le papier, car, outre l'absence de presse écrite, la radio et la télévision étaient inaccessible dans cette partie du pays dans les années 1990. C'est dire donc qu'au moment où certains citoyens, notamment ceux de la capitale Ouagadougou goûtaient au plaisir de l'un des droits fondamentaux de la personne humaine à savoir la liberté d'expression, une frange importante de la population dont celle de Sahel en général et de Gorom- Gorom en particulier en était toujours privée. C'est dans ce contexte que naîtra l'idée de création d'un journal local à Gorom- Gorom . Un idée qualifiée à l'époque de « folie » tant elle paraissait surréaliste au regard des réalités du terrain.


Un « exilé » nommé Prométhée

L'idée de créer un journal à Gorom- Gorom vient d'un certain Prométhée Kassoum Bako, plus connu sous le nom de prométhée. Etudiant en histoire , Prométhée débarqua à Gorom- Gorom le 15 mars 1992. Leader du mouvement estudiantin de l'université de Ouagadougou, on raconte qu' »il fut contraint à l'exile à Gorom- Gorom à cause de ses opinions syndicales et aussi politiques ». Il faut souligner que Gorom- Gorom tient sa triste réputation de « bagne du Burkina » depuis l'époque coloniale. C'est en effet à Gorom- Gorom que l'administration coloniale affectaient les «  têtes dures » notamment les politiciens et autres syndicalistes jugés «  dangereux ». Après les indépendances, Gorom- Gorom servira toujours de lieu d'internement d'opposants aux différents régimes. Même de nos jours, l'on continue d'y affecter des agents indélicats de l'Etat. Etiqueté comme un « élément dangereux chassé » de Ouaga C'est donc en « exilé dangereux » aux yeux de la population que fut accueilli Prométhée à Gorom- Gorom. Et pourtant, la réalité était tout autre. Prométhée est arrivé à Gorom en qualité d'agent au service d'un projet de la place, en l'occurrence le Programme Sahel Burkina. Ce projet avait organisé un test de recrutement d'un chargé de communication pour sa cellule animation. Prométhée postulation comme tant d'autres et fut déclaré admis. Mais cette réalité ne changera rien à la version déjà répandue qui veuille qu'il soit considéré comme « un exilé dangereux ». Cette opinion «  d'élément dangereux » attribué à Prométhée se renforcera dès l'apparition du n° 00 de la Voix du Sahel le 1er Août 1994.


Histoire d'une parution.

Prométhée raconte : » A mon arrivée à Gorom- Gorom, mon premier constat fut le grand isolement. Leader Estudiantin, j'étais en manque d'information sur l'évolution de la situation sur le campus d'une part et sur la vie de la nation d'autre part. J'avais constaté que non seulement la radio nationale ne couvrait pas la zone, mais pire encore, aucun journal ne parvenait à Gorom. Je me suis posé la question de savoir comment des citoyens d'un pays pouvaient vivre ainsi sans information. Et pourtant c'était le cas. Les intellectuels en exercice à Gorom n'avaient aucune tradition de lecture, donc étaient sous informés. Il fallait faire quelque chose. Comme solution immédiate, j'ai décidé d'être dépositaire de journaux à Gorom- Gorom. J'ai alors pris attache avec un dépositaire de Ouaga qui accepta de me livrer tout ce que la capitale comptait comme titres de presse. C'est ainsi que chaque dimanche, grâce aux cars de l'ex société de transport en commun X9, je recevais les différents titres paraissant à Ouaga. C'est ainsi que pris petit à petit dans les habitudes des fonctionnaires une certaine tradition de lecture de journaux. Seulement voilà. Si à Gorom- Gorom, on pouvait, grâce aux journaux paraissant à Ouaga savoir ce qui se passe dans la capitale, le retour n'était pas possible. Dans la capitale, l'on ignorait ce qui pouvait se passer dans cette partie enclavée du Burkina. J'ai alors décidé de vendre en retour aux gens de la capitale ce dont nous disposons comme information locale. Je devins alors correspondant du quotidien «  Le Pays » auquel j'envoyais régulièrement des « éléments ». La collaboration dura 2 ans, de 1993 à 1994. Deux années de franche et loyale collaboration qui me permirent de faire connaître cette partie du Burkina très méconnue par les Burkinabé eux- mêmes. Seulement voilà. L'espace rédactionnelle que m'accordait « Le Pays » était insuffisant pour la somme d'information que je collectais. Que faire donc ? Et si je créais un journal me suis- je dis ! Je m'ouvris à un aîné professionnel en la matière. Ce dernier me déconseilla vivement cette idée qu'il qualifia de «  dangereuse ». Il expliqua : «  Tu sais que tu es déjà pointé du doigt comme un élément dangereux. Si tu crée un journal, tu offrira l'occasion à ceux qui t'avaient oublié pour qu'ils viennent te chercher, et comme tu connais la nature du régime en place… » Je promis à cet aîné que je laisse tomber ma folie. En vérité, je ne voulais guère le décourager car ma décision était irrévocable. Il me faut créer ce journal. Seulement voilà. Avec quels moyens vais- je éditer ce journal dans ce bout de terre asséché par me soleil et les vents de sable. Je n'ai aucune machine à écrire, n'en parlons pas d'une imprimerie. Tiens, tiens. Et le matériel de mon service ! En effet, le projet où j'étais recruté en ma qualité de chargé de communication, avait acquis du matériel informatique ( ordinateurs) qui étaient dans mon bureau. J'avais la lourde mission de veiller sur ce matériel. Et pour cela, je fus le premier à recevoir une initiation en informatique. A l'époque, en 1994, je pouvais dire que j'étais le seul informaticien de tout Gorom. A côté des ordinateurs, il y a avait d'autres machines tels que les ronéo pour la production des documents d'alphabétisation. Pourquoi ne pas mettre tout ce matériel a profit pour imprimer le journal. C'était un pari risqué. Quelle serait la réaction de la direction du projet si elle venait à s'apercevoir que son matériel est utilisé à cette fin ? Advienne que pourra. «  Si on me vire, je retourne sur le campus, je m'en fous.. » Me suis je dis. Alors, je me suis mis à l'ouvrage. Et le premier numéro tomba.




Le n° 00 de la Voix du Sahel

Ce numéro avait à sa « Une » : QUAND DEUX COMMISSAIRES SE RENCONTRENT…


Il était question dans l'article du Haut- Commissaire et du Commissaire de la police de Gorom- Gorom. J'avais assisté devant le commissariat de police à une scène lamentable entre ces deux autorités. Que s'est- il passé ce jour- là ? Je e ne le sais exactement. Toujours est- il que nos deux autorités se sont livrées en spectacle devant un groupe de … femmes. Je relatai donc la scène dans le n° 00. Je tirai sur stencils une cinquantaine d'exemplaires que je remis à un garçonnet pour tourner dans les services. A peine 30 mn que le garçonnet revînt les mains vides en me disant : «  patron, c'est fini et les gens en réclament. » Je sus automatiquement ça va chauffer. En effet, quand un journal finit rapidement sur le marché, c'est qu'il y a de l'électricité dans l'air. Et la tempête ne tarda pas à se manifester. En effet, une heure après la sortie du journal que je reçois un coup de file. Au bout de la ligne… le Commissaire de police : «  C'est Bako, je veux te voir immédiatement dans mon bureau, si non j'envoie te chercher et cela peut te coûter cher. » Il raccrocha sèchement. Je me rendis au commissariat. Mais avant d'y aller, j'ai pris soins d'apporter ma bible qui est le code de l'information. Arrivé au commissariat, je fus immédiatement introduit dans le bureau du commissaire. Et comme d'habitude, il m'ignora et s'occupa d'autres choses. Quand il revient à moi, c'était pour me jeter à la figure un exemplaire du journal en disant : «  C'est toi l'auteur de cette feuille de choux ? » Je n'eus pas le temps de réagir quand il ajouta : «  Ce sera ton dernier écrit car tu es hors la loi. Tu sais qu'avant de faire paraître un journal il faut une enquête de moralité ? Tu sais qui doit faire cette enquête ? C'est moi. Et à ma conclusion est déjà connue. Tu es un élément dangereux dans les mains duquel on ne doit point laisser une telle arme qu'est un journal. Tu crois que je ne sais pas qui tu es ? Si j'avais décidé de te laisser tranquille, c'est que je pensais qu'une fois ici à Gorom, tu seras sage. Mais je constate que tu es une tête de mule. Et comme tu as eu l'audace de s'attaquer à moi, tu ne le regretteras pas. » Sur ce, le commissaire brandit un exemplaire du code de l'information et cita des articles qui tous me condamnaient. Quand il eut fini, il déposa au milieu de la table son code de l'information. Je remarquai qu'il datait de…1990. C'était un code dépassé puisqu'en 1992, l'Assemblée des députés du peuple avaient adopté un autre texte remplaçant celui de 1990. Je fis alors remarqué à mon commissaire que tous ses articles qu'ils venaient de citer étaient devenus caduques. Et joignant l'acte à la parole, je déposai devant lui le nouveau code de l'information. Notre commissaire, à l'image de tous les cadres exerçant en province étaient sous informés sur l'évolution du pays en matière de textes. Mis devant la réalité, mon commissaire me montra tout simplement la porte de sortie non sans avoir juré d'avoir ma peau une seconde fois. Les propos de l'aîné disant que la presse était un secteur dangereux venaient de se confirmer. Mais il était impossible de reculer. Ce n° 00 viendra encore renforcer aux yeux de l'opinion la dangerosité de Prométhée. Dans la ville, on entendait ces genres de commentaires : «  On a dit que le type était dangereux. La preuve, la voilà. Il n'a même pas peur des autorités… » Inutile de vous dire qu'après le commissaire, ce fut le tour du Haut- Commissaire de nous convoquer à sa résidence pour nous mettre en garde « contre toute atteinte à l'ordre publique et à l'autorité de l'Etat » Car d'après lui, «  ton initiative de création d'un journal à Gorom n'ai pas la meilleure chose qui soit. ». Bien évidemment, la machine était en branle. Le commissaire et le Haut- Commissaire vont rendre compte à qui de droit pour incriminer mon employeur qui, à leurs yeux serait le premier coupable. L' Administration n'arrivait pas à comprendre pourquoi le projet peut me laisser cette liberté d' »utiliser le matériel du projet pour semer la merde dans le village ». Au tout début, l'administration du projet, notamment le CTP Pim Van de Leemput résista aux remontrances de l'administration mais fini par craquer. Et pourtant, sans le matériel du projet, il est impossible de faire quoi que ça soit. Il fallait trouver une autre formule. Et si j'utilisais le projet comme parrain ? Sans moyens financiers et matériels, il faut mettre le projet dans le coup. C'est ainsi que je proposai au projet de mettre le journal à sa disposition pour faire large écho de ses actions sur le terrain. Et pour que cela ait un impact sur le groupe cible que sont les paysans, il faut, à côté de l'édition en français, une édition en langues nationales. Moi je m'occupe du français et mes articles seront traduits en langues nationales fulfuldé, sonraï et Tamacheq. Le projet agréa la proposition. Des moyens financiers et matériels sont mis à contribution. Désormais, le journal sera imprimé à Ouaga. Tout est bien qui fini bien ! Point du tout. Un lundi matin, assis dans mon bureau, je vis entrer le CTP Pim un exemplaire du journal en main. Dans une de ses colères dont lui seul connaît le secret, il me jeta à la figure le journal en ces termes : «  Tu vois ce que tu as écris ? Comment peux- tu traiter les fonctionnaires de vautours et de charognards. Si c'est pour ça, moi, je ne finance plus… » Le projet qui ne partageait pas la ligne éditoriale du journal lui coupa les vivres. Afin de sauver le canard, je mis en jeu mon salaire pour soutenir la publication du journal. Cela dura six mois. Un jour, le Conseiller Technique principal du PSB ( Pim) vînt me voir dans mon bureau et me tînt ce langage : «  Tu sais, moi je ne suis pas contre le journal. Si j'ai pris une décision contre, c'était à cause de certaines pressions. Mais je pense qu'il faut des critiques pour faire bouger les choses. Si tu veux, tu peux élaborer une fiche d'opération et je vais financer. » Je remerciai le CTP mais je lui demandai un temps de réflexion. Au bout d'une semaine, je rencontrai et lui tînt ces propos : «  Voilà ce que je te propose. Le journal existe déjà. C'est un outil de communication qui est à ta disposition pour tes actions sur le terrain. Si tu as un message à faire passer, tu achètes des espaces de publication et tu seras facturé. Comme ça, on est quitte. On ne t'accusera pas de soutenir un journal quelconque ». Pim trouva la proposition intéressante. Et c'est ainsi que par ses reportages, le journal permis à l'opinion de connaître l'existence de ce grand projet dans la province de l'Oudalan.


A sa création, «  La Voix du Sahel » se voulait tout juste un petit journal local juste pour combler un vide en matière de communication. Mais très vite, le petit journal local évoluera pour devenir le premier journal régional du Sahel Burkinabé et l'unique en son genre dans le paysage médiatique burkinabé, car faut- il le souligner, «  La Voix du Sahel » fut l'unique parution en province pendant que la plupart des titres étaient concentrés à Ouaga. Par la suite, le journal étendra son réseau de distribution sur toute l'étendue du territoire avant de conquérir l'espace international en sa qualité d'unique organe spécialisé dans la communication rurale au Burkina Faso.


De nos jours encore, «  La Voix du Sahel » demeure l'unique organe d'information de référence dans la région du Sahel. Sur ses traces, furent créés d'autres organes mais hélas n'eurent pas longue vie. Bi- mensuel, la Voix du Sahel a un tirage de 3000 exemplaires. Aujourd'hui, le groupe Voix du Sahel compte deux titres : La Voix du Sahel spécialisée dans l'information générale et la Voix du Sahel Economique consacrée uniquement aux actions de développement. Par le dynamisme de ses animateurs, la Voix du Sahel a été plusieurs fois distinguée au Burkina Faso. En 1997, le journal remporta le 1er prix galian dans la catégorie « Grand reportage » avec l'article intitulé : «  L'orpaillage au Sahel : Jusqu'au seuil de l'irréel ». En 2000, il remporta le 3è prix «  Anti corruption » du RENLAC ( Réseau Nationale de Lutte anti- Corruption ». A côté de ces distinctions, la Voix du Sahel a eu le privilège de participer à de nombreuses rencontres internationales à travers le monde. Les partenaires qui l'invitent ont tous motivé leur choix par l'engagement du journal aux côtés des acteurs du développement.


Telle est la brève historique de ce petit journal local qui a vu le jour dans la région réputée pauvre, arriérée, « inhospitalière » du Burkina à l'époque : Gorom- Gorom. Né il y a 15 ans à Gorom- Gorom, la Voix du Sahel a su vaincre toutes sortes d'obstacles pour occuper la place qui est aujourd'hui la sienne dans l'univers médiatique du Burkina Faso. Ce journal qui fait aujourd'hui la fierté de tous les sahéliens qui l'ont vu naître et grandir, est la preuve, si besoin en était que dans un pays pauvre comme le Burkina d'un continent marginalisé comme l' Afrique, l'on peut, avec les moyens de bord rêver, voir loin et grand. Le Journal la Voix du Sahel en est un exemple concret. L'exemple d'une Afrique qui gagne, d'une jeunesse africaine qui triomphe.  Absolument»


Prométhée

Fondateur du journal la Voix du Sahel

et du Groupe de Presse Voix du Sahel

Gorom- Gorom








19/07/2009
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